Quelques heures après l’annonce du Chef de l’État relative à la future signature d’un accord de paix avec le Rwanda à Washington, le prix Nobel de la paix, Dr Denis Mukwege, a vivement réagi ce samedi 29 novembre. Il dénonce des démarches diplomatiques qui, selon lui, hypothèquent « gravement » l’avenir de la République démocratique du Congo (RDC). Les processus engagés à Washington et à Doha seraient avant tout motivés par des intérêts économiques et financiers étrangers, s’inscrivant ainsi dans une longue tradition de décisions imposées au détriment du peuple congolais.
Dans son communiqué, le Dr Mukwege pointe les failles de l’Accord-cadre de Doha, présenté comme une avancée diplomatique mais dépourvu de mécanismes contraignants, de calendrier précis ou de garanties de mise en œuvre. Aucune disposition n’y prévoit la lutte contre l’impunité. Malgré la signature de deux protocoles la libération des détenus (14 septembre) et la surveillance du cessez-le-feu (14 octobre) le M23 et l’Alliance Fleuve Congo (AFC) ont poursuivi leurs offensives, violant le cessez-le-feu et fragilisant davantage le processus.
Selon lui, ces initiatives souffrent d’un profond déficit de participation, de transparence et d’inclusion. Conçues comme de simples arrangements bilatéraux, elles ignorent la dimension éminemment régionale du conflit, qui implique notamment l’Ouganda et le Burundi. Pour le Dr Mukwege, une opacité inquiétante entoure ces négociations menées « en coulisses », tandis que le peuple congolais continue de supporter les conséquences de décisions contraires au droit international et tendant à normaliser une agression armée.
« Depuis plus de 150 ans, l’histoire du Congo est façonnée par des puissances extérieures, souvent au mépris des aspirations de son peuple. Aujourd’hui encore, alors que les Congolaises et les Congolais paient un tribut humain insoutenable, les initiatives de paix sont conçues loin d’eux, dans des capitales étrangères, sans transparence, sans inclusion et sans volonté réelle de s’attaquer aux causes profondes du conflit. À quand la fin de ces cycles ? », interroge-t-il.
Le prix Nobel regrette en outre l’absence des victimes, des communautés locales et des véritables acteurs de paix dans les négociations. Il rappelle que le Rwanda n’a toujours pas retiré ses troupes du territoire congolais et continuerait de diriger les opérations du M23 dans les zones occupées, en violation de la résolution 2773 du Conseil de sécurité de l’ONU. Ces démarches, dépourvues de séquençage cohérent, se réduisent souvent à des annonces sans lendemain.
« La coalition M23/AFC et leur parrain rwandais ayant déjà violé le cessez-le-feu, ils poursuivent leurs offensives selon une stratégie de ‘talk and fight’. Ils étendent leur contrôle sur les Kivu et imposent un régime de terreur, comme l’illustre le massacre de 22 civils à Irhambi/Katana, dans la nuit du 23 au 24 novembre », dénonce-t-il.
Dans ce contexte explosif, le peuple congolais se retrouve pris « entre le marteau et l’enclume » : d’un côté, un gouvernement dont l’irresponsabilité compromettrait la souveraineté nationale ; de l’autre, un Rwanda déterminé à instrumentaliser la question des FDLR — composés, rappelle-t-il, majoritairement de ressortissants rwandais — pour renforcer son emprise sur les richesses naturelles du Congo. À cela s’ajoute l’ingérence d’acteurs économiques étrangers attirés par les minerais stratégiques.
Le Dr Mukwege estime que la situation au Nord et au Sud-Kivu s’apparente à une « annexion de fait », le Rwanda exerçant une autorité illégale sur des zones congolaises, en violation des principes de souveraineté territoriale et du droit des peuples à disposer de leurs richesses naturelles. Certains gouvernements et entreprises opérant dans les zones occupées contribueraient, selon lui, à normaliser cette situation illégale.
Pour le médecin et militant des droits humains, les accords de Washington et de Doha ne visent pas à rétablir la légalité internationale. Ils serviraient plutôt des intérêts géostratégiques étrangers, donnant l’illusion d’un progrès diplomatique sans améliorer la vie de millions de Congolaises et de Congolais déracinés ou privés de leurs droits fondamentaux. Il rappelle qu’aucun agenda politique ne peut primer sur le droit du peuple congolais à la sécurité, à la justice et à la souveraineté.
Vers une paix durable : des mesures fortes nécessaires
Le retour à la paix, estime-t-il, exige des sanctions robustes de la communauté internationale, le retrait des forces étrangères, le démantèlement des administrations parallèles illégitimes et l’application stricte de la résolution 2773. Une paix durable passe par l’implication des communautés locales, la reconnaissance de la dimension régionale du conflit et une approche fondée sur la vérité, la justice et la responsabilité.
Tant que les intérêts miniers et économiques primeront sur les droits humains, prévient-il, aucune paix véritable ne pourra s’enraciner. « Il est temps que les Congolaises et les Congolais cessent d’être la variable d’ajustement des rivalités géopolitiques, recouvrent leur dignité et reprennent en main leur destin », conclut-il.
Gloire MALUMBA.K

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